____Le
MOMA (Museum Of Modern Art) a intégré depuis 2013 à sa collection permanente plusieurs jeux vidéos :
Pac-Man,
Tetris,
Another World,
Myst,
SimCity 2000,
Vib-Ribbon,
The Sims,
Katamari Damacy,
EVE Online,
Dwarf Fortress,
Portal,
flOw,
Passage et
Canabalt. Le jeu vidéo est-il un art contemporain ? Certes, d'un point de vue étymologique, l'art contemporain regroupe tout l'art crée de notre vivant. Cependant, d'un point de vue plus spécialisé, l'art contemporain est bien plus fermé que cela. En effet, tout n'est pas art, car une œuvre doit répondre à certains critères pour être considérée comme telle. Critères que je n'aborderais pas ici en profondeur, car la définition d'une œuvre est extrêmement complexe
(et personne n'arrive encore à se mettre d'accord).
Maldiney nous dit
"l'art n'est pas fait pour être vu mais pour voir" et Paul Valéry
"l'art n'est pas une manière de penser, c'est une manière de faire qui donne à penser".
____En sachant cela, nous pourrions en déduire que l'œuvre qui découle de cet art doit porter un certain regard sur le monde, regard de l'artiste certes, mais surtout un regard différent amené à être découvert par les visiteurs.
____Il aura ainsi fallu presque un siècle au cinéma pour être considéré comme art et plus encore à la vidéo. Pour le jeu vidéo, ce ne sont "que" cinquante ans qu'il aura fallut. Mais qu'est-ce que cela veut dire du médium ?
____Avant de continuer, je séparerais cette rédaction en plusieurs parties, histoire que cela ne soit pas trop indigeste. Nous aborderons, dans un premier temps, le jeu dans l'art de façon générale
(avant les jeux vidéo) puis, nous verrons l'arrivée du jeu vidéo dans l'art contemporain pour enfin nous intéresser à la manière ou tout du moins, aux questionnements qui pourront nous aider à penser et repenser le médium du jeu vidéo.
____Dans son livre Homo Ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, Johan Huizinger nous explique la fonction du "cercle magique", qui est l'espace qui sépare le joueur du monde extérieur. C'est l'espace du jeu
(pas forcément jeu vidéo mais jeu au sens large). Dans cet espace, nous pouvons retrouver quatre notions distinctes, définies par Roger Caillois dans Le jeu et les hommes : le masque et le vertige.
Ces quatre notions sont :
- Compétition (AGON) : si l'on est en compétition (avec soi-même ou les autres)
- Simulation (MIMICRY) : si le jeu simule quelque chose (les sims simulent la vie, les échecs simulent la guerre, etc).
- Hasard (ALÉA) : si le jeu comporte du hasard.
- Vertige (ILINX) : ici c'est une notion qui peut être un peu compliquée. Le vertige est le moment où le jeu est si intense qu'il dépasse le joueur (exemple : la frénésie de l'arcade).
De plus, il y reconnait deux "types" de jeux :
- La PAEDIA/PAIDIA : il s'agit de l'émergence. C'est le jeu qui émerge petit à petit et dont les règles s'inventent au fur et à mesure. Le joueur peut négocier avec les règles souples.
____Exemple : des enfants font la course "jusqu'au poteau" et une fois au poteau "non jusqu'à la poubelle", etc, etc. C'est une paedia, car on reconnait l'émergence de règles au fur et à mesure.
- Le LUDUS : qui comprend des règles très appliquées sans possibilité de négociation. La plupart des jeux vidéo rentrent dans cette catégorie.
Histoire d'éclaircir un peu tout cela, voici quelques exemples :
- Kamoulox :
Vertige : car les réponses doivent si vite qu'une fois emporté, le joueur peut être dépassé.
Simulation : car c'est une simulation de jeu télévisé (ça en reprend tous les codes).
Hasard : car c'est au hasard que les joueurs ont ou pas des points, sont ou non gagnants.
Paedia : car les règles se forment au fur et à mesure du jeu.
- Poker :
Compétition : c'est un jeu où l'on est en compétition avec les autres.
Simulation : qu'on peut rapprocher d'une simulation de négociation.
Hasard : car les cartes que l'on a sont dues au hasard.
Ludus : car il y a des règles fixes.
Paedia : c'est un jeu où la négociation est tout de même centrale.
- Le jeu :
Compétition : car c'est à celui des autres qui ne pensera pas au jeu.
Vertige : le jeu ne s'arrête jamais et peut aller loin. On ne peut plus sortir du jeu. Il nous dépasse.
Ludus : la règle est incassable. Tous ceux qui y pensent doivent jouer. Une fois qu'ils sont dans le jeu, ils ne peuvent plus en partir. C'est la règle.
____Parmi les premières formes du jeu en tant qu'oeuvre d'art, nous retrouverons le cadavre exquis, initié par les
surréalistes. A travers cette forme de jeu, plusieurs questionnements sont mis en place : qu'est-ce qui fait oeuvre ? Est-ce le dessin final ? L'action effectuée ? Ou les règles mises en place ?
____Á leur suite, nombreux seront les artistes à exploiter cette voie. Laissez-moi vous en faire découvrir quelques-uns .
Julius Koller, Mysterious cultural situation 1., 2., (U.F.O.), 1988 ____Július Koller était un artiste Slovaque né 1939. Vivant dans un pays qui appartenait à Berlin Est, la censure était pour ainsi dire partout. Il s'est ainsi penché sur les questions que cela englobe : où sont les enjeux de l'art ? Quel est le seul endroit où il peut y avoir médiation ? Un échange ? C'est autour d'une table de ping pong que l'artiste trouvera sa réponse.
____Il fit plusieurs performances : en installant un miroir sur la table de ping pong, en installant un mur extrêmement haut pour séparer les deux joueurs ou encore en rédigeant des phrases sur la table. Ces gestes, en réaction au régime stalinien, permettaient d'une part d'être lieu de critique mais également lieu de performance et de happening
(les visiteurs pouvant jouer).
PingPong, table avec mur, 1990PingPong, table avec journaux, 1991 ______Cela nous aide à nous interroger sur notre manière d'aborder le jeu vidéo. Comment réfléchir et dénoncer via le jeu vidéo ? Quel dispositif utiliser ? Quel questionnement pouvons-nous et voulons-nous soulever ? En modifiant le dispositif de jeu et en mettant les gens en jeu nous pouvons impacter tout notre discours. Voilà ce que nous pouvons retenir de Koller.
______Georges Maciunas, l'un des principaux fondateurs du mouvement fluxus, nous a livré un manifeste nommé Fluxamusement dans lequel il explique sa volonté de se battre contre les avant-garde. Il y fait d'ailleurs la mention d'arrière-garde et souhaite promouvoir un déluge artistique en mettant l'artiste vers la non-professionnalisation. Il dit l'amusement comme pouvant être une pratique artistique en dehors du monde de l'art. Car il est contre l'art pour les élites.
______Il réalisa ainsi plusieurs objets performatifs avec cartes et dés et inventa beaucoup de systèmes de règles : parfois fonctionnels, parfois pas.
Same Card, Georges Maciunas, 1983 Same Card, par exemple, était un paquet de cartes ne contenant que des 4 de cœurs. Au joueur d'inventer la suite.
______Robert Filiou, était un poète relié, lui aussi, au mouvement Fluxus. Il créa une oeuvre
Danse poème aléatoires collectif. Il s'agissait d'une oeuvre participative composée de deux roues de bicyclette, autour desquelles étaient inscrits des mots. Cela composait les règles du jeu, mais aussi le poème.
Danse poème collectif (réplique), Robert Filiou, 1962
______Ce que nous pouvons retenir de ces artistes, c'est la mise en avant des règles. Vous pouvez les créer, les déroger, les modifier, les rendre logiques ou non. Bref, les règles doivent être intelligentes.
Jesper Juul expliquait que le jeu est un système de contrainte
(proche du conceptuel donc). Pour lui, ce sont les règles qui font le jeu.
Pour d'autres, le plus important ce ne sont pas les règles mais l'expérience du joueur
(comme peut parfois primer l'expérience picturale à la peinture elle-même).
D'autres encore vont mettre vont positionner leur questionnement sur la narration. C'est par ailleurs ce même questionnement qu'a le cinéma
"où est la narration ? Comment sert-elle le propos ? Comment la mettre en place ?" etc.